Contingence et communauté, Kuki Shûzô, philosophe japonais

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Entre bergsonisme et phénoménologie, bushidô et mythe de Sisyphe, poétique de la rime et éternel retour du même, nationalisme culturel et esthétique de l’époque d’Edo, l’œuvre protéiforme de Kuki Shûzô (1888-1941) a émergé d’une tension féconde entre les mondes intellectuels japonais, français et allemand. Elle ne saurait être élucidée selon les idées convenues de pensée « proprement japonaise », de synthèse entre « Orient » et « Occident », ou même de métissage culturel. Cette œuvre qui nous incite à repenser les notions d’identité, de communauté, d’universalité, et en premier lieu le « nous » lui-même, est bel et bien une philosophie originale et universelle, son nœud secret étant le commun, dont la modalité d’être est la contingence et où la phénoménalité originaire est la rencontre fortuite, principe inconditionné de tout apparaître. (source : Vrin)

Simon Ebersolt est chercheur postdoctoral à l’Institut français de recherche sur l’Asie de l’Est (Inalco/Université Paris Cité/CNRS), où il est co-responsable du Groupe d’étude de philosophie japonaise.

Le nom formel japonais mono. Approche sémantique syntaxique et énonciative

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Le présent ouvrage porte sur l’un des mots les plus fréquents de la langue japonaise contemporaine : le nom mono, traduit généralement par “chose” ou “objet”. Ce nom a la particularité de ne pas avoir de référent en propre et de pouvoir désigner aussi bien un objet concret qu’un concept abstrait, voire un ensemble d’individus partageant quelques traits assez larges. Véritable “nom caméléon”, mono est également employé à des fins grammaticales ou énonciatives. Il est alors qualifié de nom formel. Derrière une apparente banalité, mono est ainsi une unité linguistique protéiforme difficile à enfermer dans une catégorie donnée. Support d’une perception du monde sensible proprement japonaise, mono avait autrefois le sens très large de “ce que l’on ne peut changer” et pouvait alors désigner des choses aussi diverses que le destin, le rythme des saisons ou les règles du monde. La langue japonaise distingue en effet deux classes de choses : celles relevant des koto (référents événementiels) et celles des mono (référents stables).
À travers des observations en discours, cet ouvrage précise les contours de ces emplois référentiels et fonctionnels. Il explore également la contribution sémantique de mono à la réalisation de tournures expressives plus ou moins figées en les reliant à ce trait fondamental de stabilité.
Cet ouvrage s’adresse à toute personne qui souhaiterait disposer d’éléments théoriques pour mieux comprendre le fonctionnement des noms formels et, en particulier, les emplois de mono, et aussi aux linguistes curieux de la langue japonaise et intéressés par les questions de prédication nominale ou d’expression de la modalité. (source : Presses Universitaires de Bordeaux)

Jean Bazantay est maître de conférences à l’Inalco, département des études japonaises.

En mars, fusils brisés

Préface d’Emmanuel Poisson (IFRAE) et François Guillemot (IAO)
Postface de Dô Kh.
Note de lecture de Bao Ninh.
Traduction d’Emmanuel Poisson.

Le livre chez l’éditeur

En mars 1975, un mois avant la prise de Saigon par les soldats communistes du Nord, le jeune lieutenant Cao Xuân Huy est fait prisonnier près de Huê. Il relate la retraite et l’annihilation d’une des meilleures unités sud-vietnamiennes, la division de Marines, qui défend le 17e parallèle. Ce texte autobiographique, cru et sans complaisance, n’est pas sans rappeler Henri Barbusse ou Ernst Jünger. Rien ne manque au récit apocalyptique d’une armée en déroute : combats d’arrière-garde, exécutions sommaires, trahisons et lâchetés. Cao Xuân Huy le fait avec une candeur absolue, racontant même comment, lors d’une bousculade, il parvient à se frotter aux seins de ses gardiennes viêt-công. Son témoignage fera scandale par sa fraîcheur et sa véracité dans la communauté amère des exilés sud-vietnamiens. De cette guerre du Viêt Nam, le lecteur occidental connaît surtout les témoignages des “vainqueurs”, même critiques, comme celui de Bao Ninh. (source : Riveneuve)

Emmanuel Poisson est professeur d’histoire du Viêt Nam à l’Université Paris Cité, membre de l’IFRAE.

François Guillemot est historien à l’Institut d’Asie orientale (CNRS-École normale supérieure de Lyon).

Do K.  est journaliste, essayiste et écrivain du courant novateur des lettres vietnamiennes depuis une trentaine d’années.

Marcelino Truong est dessinateur et illustrateur.

Les yeux de la ville : vigilance et lien social France-Japon, analyses croisées

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Naoko Tokumistu, « Les Yeux de la ville : vigilance et lien social France-Japon, analyses croisées », Hémisphère, Paris, 2021, 568p.

En réponse à un sentiment croissant d’insécurité, les actions de prévention initiées par des particuliers se multiplient. Ce livre étudie leur récent développement à l’échelle du quartier, en France et au Japon, et en propose une analyse croisée entre les deux pays.

Car, tout en accordant de l’importance au lien social, la France et le Japon adoptent des approches contrastées. Ainsi, en France, ce type d’action est surtout le fait d’agents formés ou rémunérés, alors qu’au Japon, le nombre de bénévoles chargé du maintien de l’ordre a été en augmentation. Dans le cadre de pratiques telles que les « médiateurs de rue » et les « voisins vigilants » en France, et les groupes d’habitants au Japon, le fait que la prévention tende à trier les citoyens au nom de valeurs considérées comme autant de « biens » du quartier transparaît notamment, au Japon, dans les actions des habitants pour la « fabrique de la ville» (machi-zukuri); tandis qu’en France, les liens sociaux représentent surtout un outil à disposition d’agents spécialisés.

Revêtant une portée d’éducation morale, le quartier japonais peut alors apparaître, en contraste avec le cas français, comme une forme de famille visant à se substituer à la famille contemporaine jugée défaillante, sur fond de réappropriation de la notion de tradition, considérée comme une charnière dans un contexte de délitement des liens sociaux au sein de la famille.

Naoko Tokumitsu-Partiot est maîtresse de conférences à l’Inalco, membre de l’IFRAE. Ses travaux portent sur les mobilisations territoriales des habitants dans un objectif de maintien de l’ordre, ainsi que sur les rapports entre police et société civile en France et au Japon.

De proches amis venus de loin: amitiés dans l’Asie orientale

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Il faut, entend-on dire souvent de parents inquiets, bien choisir ses amis. Et l’on comprend par là, dans un savoir d’expérience qui s’est imposé aux aînés et qu’ils ont eux-mêmes appris de leur père et de leur mère, qu’il faut éviter les « mauvaises fréquentations », délétères, corruptrices et qui font irrémédiablement dévier de la pente supposée naturelle au bien. Comme si les amitiés de groupe n’apprenaient rien, ni loyauté, ni défense inconditionnelle, ni vertu de courage. « Les vrais amis se comptent sur les doigts d’une main » et nous sommes le plus souvent pris dans « des accointances et des familiarités nouées par quelque occasion ou commodité par le moyen de laquelle nos âmes s’entretiennent », se confortent et s’enferment en elles-mêmes, jamais secouées, jamais décentrées. Et nous n’aurions affaire qu’à de « faux amis » semblables à ces pièges des langues étrangères où l’on ne fait résonner que la langue natale. « Les vrais amitiés sont désintéressées » et se reconnaissent dans la durée. Mais que faire alors de l’entraide, du secours et comment les intégrer dans les profits divers que l’on peut à bon droit attendre des compagnons de route et de vie ? Et que faire des amitiés qui ne durent pas, qui se perdent, qui s’épuisent ou se fatiguent ? N’ont-elles rien été, n’ont-elles rien appris, faut-il nier dans l’absence d’aujourd’hui la co-présence d’alors ? La perte d’un ami, toujours physique dans la mort ou l’étiolement, ne vient-elle pas plutôt paradoxalement renforcer la nécessité du rapport amical, d’un autre soi-même qui bouscule par sa franchise, décale par son expérience, instruit de ce que je ne sais ni faire ni dire, console par son tact … (Sources : Cairn)

Avec la participation de trois membres de l’IFRAE : DOAN Cam Thi, “L’amitié à l’épreuve de la mondialisation: une lecture de trois nouvelles de Phan Hồn Nhiên”, p. 159-173; François Macé, “De la fraternité à l’amitié”, p. 85-106, ; Frédéric Wang, “L’amitié au-delà de la mort: quelques récits exemplaires dans la Chine ancienne”, p. 31-44. 

Diogène, n° 265-266, “De proches amis venus de loin: amitiés dans l’Asie orientale”, 2019

Rédacteur invité : Stéphane Feuillas (Université Paris Cité, CRCAO)
Ancien élève de l’École Normale Supérieure de la rue d’Ulm, agrégé de Lettres Modernes et Docteur en philosophie de la Chine classique, il est professeur de littérature et pensée de la Chine classique à l’Université Paris Cité. Ses recherches portent sur la nature de l’expression philosophique de la dynastie des Song et sur les modalités de la philosophie du changement. Il a publié plusieurs traductions de l’œuvre littéraire de Su Shi (1137-1101), les Nouveaux Discours de Lu Jia (2012), et s’est chargé, dans l’Anthologie de la poésie chinoise publiée dans la Pléiade (2015), des poèmes de la dynastie des Song (960-1279). Outre de nombreux articles parus dans des revues scientifiques ou des ouvrages, il a dirigé la publication d’un volume intitulé Sujet, moi, personne (2004) consacré à la question du sujet dans les cultures d’Extrême-Orient. Il co-dirige aux Belles Lettres, avec Anne Cheng et Marc Kalinowski, la collection « Bibliothèque chinoise » qui a pour but de présenter en version bilingue les textes majeurs écrits en langue classique coréens, chinois, japonais et vietnamiens. (Sources : Cairn).

Rédacteur invité : Frédéric Wang (Inalco, IFRAE)
Agrégé en langue et culture chinoises, docteur en littérature française (sémiotique) et en études chinoises, il a été maître de conférences à l’ENS LSH (Lyon) et à l’Université Lumière Lyon 2 avant de devenir, en 2008, professeur en histoire de la pensée chinoise à l’Institut des Langues et Civilisations orientales (Inalco). Ses recherches actuelles portent sur le confucianisme, notamment celui du xvie siècle. Auteur d’Approche sémiotique de Maurice Blanchot (1998) et d’une cinquantaine d’articles publiés dans des revues scientifiques ou des ouvrages collectifs, il a dirigé l’ouvrage collectif Le choix de la Chine d’aujourd’hui : entre la Chine et l’Occident (2010). (Source : Cairn)

L’amitié à l’épreuve de la mondialisation : une lecture de trois nouvelles de Phan Hồn Nhiên, DOAN Cam Thi

In Vietnamese literature where friendship is almost absent, Phan Hon Nhien’s work stands out as her characters are in search of this form of affection. Our article questions the specificity of the experience of friendship by this young author born in 1972. How does she articulate this enduring connection, considering the ephemeral nature of social exchanges which are typical for our time? How does she take into account the effects of globalization? How does the theme of friendship allow her to renew the question of the contemporary individual condition and his/her practice of interpersonal relationships ?

Au sein de la littérature vietnamienne où l’amitié est quasi-absente, se distingue l’œuvre de Phan Hồn Nhiên dont les personnages sont en quête de cette forme d’affection. Notre article s’interroge sur la spécificité de l’exercice amical chez l’écrivaine née en 1972. Comment articule-t-elle ce lien fondé sur la durée, au caractère éphémère des échanges, caractéristique de notre époque ? Comment tient-elle compte des effets de la mondialisation ? Comment le thème de l’amitié lui permet-il de renouveler la question de la condition de l’individu contemporain et de sa pratique des relations interpersonnelles ?

“L’amitié à l’épreuve de la mondialisation : une lecture de trois nouvelles de Phan Hồn Nhiên “, Diogène, 2019/1-2 (N°265-266) pp.159-173.

Đoàn Cầm Thi (Inalco, IFRAE)
Traductrice, maître de conférences à l’Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco) et membre de l’Institut français de recherche sur l’Asie de l’Est (Ifrae), elle dirige, chez Riveneuve, la collection « Littérature vietnamienne contemporaine ». Elle a publié chez cet éditeur Un moi sans masque. L’Autobiographie au Vietnam, 1887-1945 (2019). Elle est également l’auteure de Poétique de la mobilité. Les lieux dans Histoire de ma vie de George Sand (2000), Au rez-de chaussée du paradis. Récits vietnamiens 1991-2003 (2005), Écrire le Vietnam contemporain. Guerre, corps, littérature (2010) et, plus récemment, en vietnamien, de Đọc “tôi” bên bến lạ [L’usage du “je” dans la littérature vietnamienne contemporaine] (2016). (Sources : Cairn)

Conflicting Memories

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Barnett, R., Weiner, B., & Robin, F. (Eds.). (2020). Conflicting Memories. Leiden, Nederland: Brill.

Conflicting Memories is a study of how the Tibetan encounter with the Chinese state during the Maoist era has been recalled and reimagined by Chinese and Tibetan authors and artists since the late 1970s. Written by a team of historians, anthropologists, and scholars of religion, literature and culture, it examines official histories, biographies, memoirs, and films as well as oral testimonies, fiction, and writings by Buddhist adepts. The book includes translated extracts from key interviews, speeches, literature, and filmscripts. Conflicting Memories explores what these revised versions of the past chose as their focus, which types of people produced them, and what aims they pursued in the production of new, post-Mao descriptions of Tibet under Chinese socialism. 
Contributors include: Robert Barnett, Benno Weiner, Françoise Robin, Bianca Horlemann, Alice Travers, Alex Raymond, Chung Tsering, Dáša Pejchar Mortensen, Charlene Makley, Xénia de Heering, Nicole Willock, M. Maria Turek, Geoffrey Barstow, Gedun Rabsal, Heather Stoddard, Organ Nyima. (source : Brill)

Robert Barnett directed the Modern Tibetan Studies program at Columbia University 2000–17. Currently a Professorial Research Associate at SOAS, University of London, he is the author/editor of such studies on modern Tibetan history as Lhasa: Streets with Memories (Columbia, 2010) and Forbidden Memory (Nebraska, forthcoming 2020). 
Benno Weiner received his Ph.D. from Columbia University in 2012 and is Associate Professor in the Department of History at Carnegie Mellon University. He is author of The Chinese Revolution on the Tibetan Frontier (Cornell University Press, 2020). 
Françoise Robin is a professor of Tibetan language and literature at Inalco in Paris. She has done extensive research on Tibetan contemporary literature and filmmaking and has translated many novels and short stories from Tibetan into French and English.

Le Chien, son maître et les parents proches

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Tagbumgyal, Le Chien, son maître et les parents proches, Semaphores, Paris, 2020, 144 p., traduit du tibétain par Véronique Gossot

Dans l’univers de Tagbumgyal, où quelques touches de fantastique viennent parfois perturber le réalisme, parler des chiens c’est parler des hommes. Portée par un sens aigu de l’observation, la narration imagée (voire cinématographique) laisse percer un humour subtil. Ni héros ni épopée ici, mais des sentiments étriqués, des situations ridicules, de petites lâchetés ou des trahisons ordinaires qui révèlent les rouages d’une société où seuls l’exercice du pouvoir et les intérêts particuliers prévalent. Cette observation malicieuse de la société témoigne d’une maîtrise de l’ambiguïté et de l’ironie sans pareilles.

Le Chien, son maître et les parents proches débute par une transgression lorsque Köntho met à la porte sa mère afin d’accueillir sa jeune épouse. Les aller-retours entre les excès de la Révolution culturelle et les minuscules mais très symboliques péripéties d’aujourd’hui constituent le fil du récit.

Journal de l’adoption d’un hapa met en scène un petit fonctionnaire à l’ambition démesurée et son pékinois doué de parole, le hapa, délaissé son précédent maître.

Dans Le vieux chien s’est soûlé, le narrateur est un enfant dont la famille vit de l’élevage de moutons. Dans une société où cupidité et impératif de développement économique n’épargnent rien ni personne, le fils unique appelé à succéder au père (ce qui rend dispensable sa présence sur les bancs de l’école) va tenter de sauver son chien d’un destin funeste. (source : Sophomores)

Valérie Gossot est doctorante à l’Inalco, sous la direction de Françoise Robin.

Reclaiming the Wilderness, Contemporary Dynamics of the Yiguandao

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Sébastien Billoud, Reclaiming the Wilderness, Contemporary Dynamics of the Yiguandao, Oxford University Press, Oxford, 2020, 312 p.

A syncretistic and millenarian religious movement, the Yiguandao (Way of Pervading Unity) was one of the major redemptive societies of Republican China. It developed extremely rapidly in the 1930s and the 1940s, attracting millions of members. Severely repressed after the establishment of the People’s Republic of China, it managed to endure and redeploy elsewhere, especially in Taiwan. Today, it has become one of the largest and most influential religious movements in Asia and at the same time one of the least known and understood. From its powerful base in Taiwan, it has expanded worldwide, including in mainland China where it remains officially forbidden. Based on ethnographic work carried out over nearly a decade, Reclaiming the Wilderness offers an in-depth study of a Yiguandao community in Hong Kong that serves as a node of circulation between Taiwan, Macao, China and elsewhere. Sébastien Billioud explores the factors contributing to the expansionary dynamics of the group: the way adepts live and confirm their faith; the importance of charismatic leadership; the role of Confucianism, which makes it possible to defuse tensions with Chinese authorities and sometimes even to cooperate with them; and, finally, the well-structured expansionary strategies of the Yiguandao and its quasi-diplomatic efforts to navigate the troubled waters of cross-straits politics. (source : Oxford University Press)

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Sébastien Billioud est Professeur d’études chinoises à l’Université Paris Cité.