Histoire et sociologie du fait religieux en Asie de l’Est

Responsable : Sébastien Billioud

Thème 1. Appropriations politiques du religieux et appropriations religieuses du politique
Projet : Les usages politiques du religieux
Projet : Religions et politique

Thème 2. Circulations religieuses transnationales
Projet : Les nouveaux foyers d’exportation du religieux en Asie de l’Est
Projet : Circulations religieuses et appropriations spatiales
Projet : Corps, mémoire et cosmologie

Thème 3. Histoire intellectuelle et traditions spirituelles
Projet : Approche de l’histoire intellectuelle en Asie de l’Est à travers les récits biographiques
Projet : L’école des « Trésors du Nord » du bouddhisme tibétain et l’ANR «For a Critical History of the Northern Treasures »
Projet : Culture de soi et transformation de l’autre
Projet : Sinologie classique et études religieuses

L’histoire et la sociologie des faits religieux constituent une orientation centrale des recherches effectuées au sein de l’Institut Français de Recherches sur l’Asie de l’Est. Les chercheurs participant aux travaux dans ce domaine sont des historiens (histoire religieuse, sociale, intellectuelle, de l’art) ainsi que des spécialistes des sciences sociales. Ils travaillent sur une diversité de traditions (bouddhisme, confucianisme, taoïsme, shintoïsme, sectes syncrétiques, nouveaux mouvements religieux, christianisme, mais également des phénomènes religieux en contexte très ancien et donc plus difficiles à nommer) et d’aires géographiques et culturelles (Chine continentale, Taïwan, monde tibétain, Corée, Japon, Vietnam et circulations transnationales).

Thème 1. Appropriations politiques du religieux et appropriations religieuses du politique

Projet 1 – Les usages politiques du religieux
Responsables : Sébastien Billioud (PU, Université Paris Cité), Ji Zhe (PU, Inalco)

Ce premier projet englobe la double question de l’instrumentalisation des religions par le pouvoir et celle de la production de systèmes idéologiques dont la dimension religieuse ou quasi religieuse dépasse la question d’une simple appropriation extérieure. La problématique sous-jacente est donc celle de l’articulation entre le politique et le religieux, mais en comprenant cette seconde catégorie de manière très large : on pourra donc parler du politico-religieux, du théologico-politique, du politico-rituel, de l’association entre politique et morale ou encore du lien entre le politique et la perpétuation d’éléments cosmologiques anciens. Sébastien Billioud (PU, Paris Cité) poursuivra un projet de recherche commencé lors du précédent contrat en abordant la question d’une analyse des recours politiques et idéologiques à un imaginaire confucéen en Chine et à Taiwan du début du XXe siècle à nos jours. Pan Junliang (MCF, Paris Cité) travaillera sur une structure politico-religieuse, la « Salle cérémoniale » (Wenhua litang), que l’État utilise pour se réapproprier des rituels traditionnels, notamment confucéens, à des fins de production idéologique. En menant cette étude de cas, il cherchera à mettre en lumière ce que la gestion des espaces spirituels révèle du système de
production idéologique de l’État chinois. Maëlle Schmitt (doctorante, Paris Cité), s’intéressera à la manière dont trois intellectuels conservateurs de la période républicaine (Liang Shuming, Zhang Junmai, Dai Jitao) ont été inspirés par le confucianisme dans l’élaboration de leur pensée politique, mais aussi dans la mise en œuvre de projets politiques concrets. Shu Jie (doctorante, Paris Cité), étudiera la réactivation contemporaine d’académies traditionnelles dont l’une des fonctions est de former des fonctionnaires au confucianisme. Jiang-Fu Lan (postdoctorante) travaillera plus spécifiquement sur la manière dont les campagnes officielles d’édification morale actuelles sont relayées par des groupes d’entrepreneurs confucéens. Georges Favraud (chercheur associé) poursuivra ses recherches sur les liens entre rituels religieux (notamment taoïstes) et arts martiaux chinois afin d’analyser les processus de modernisation nationaliste et de mondialisation de ces pratiques et imaginaires, tant « par le bas » que dans le cadre du soft power chinois.

Projet 2 – Religions et politique
Responsables : Sébastien Billioud (PU, Université Paris Cité), Ji Zhe (PU, Inalco)

Le second projet de recherche portera sur le positionnement des religions à l’égard du politique. Devant composer avec des cadres normatifs qui limitent leur marge d’action, les religions sont contraintes à une adaptation constante. Dans les régimes autoritaires, il leur est nécessaire de négocier avec les autorités un espace d’exercice pour leurs activités ou alors de se replier vers des activités souterraines. Cette thématique est assez structurante pour notre axe car elle recoupe les préoccupations de nombreux membres de l’axe. Il est par ailleurs extrêmement important de la
reconduire dans la mesure où un certain nombre d’études de terrain prévues dans le cadre du plan précédent n’ont pas pu être réalisées en raison du covid, des restrictions sanitaires et des fermetures des frontières. Divers cas permettront d’étudier cette question en Chine : celui des organisations bouddhistes locales et taïwanaises ou des grands temples bouddhistes, du réseau des temples bouddhistes Shaolin, des groupes d’entrepreneurs confucéens et bouddhistes, de l’Association taoïste de Chine, des sectes chrétiennes interdites comme le Quannengshen, des mouvements protestants évangéliques souterrains et de l’église protestante officielle.

Thème 2. Circulations religieuses transnationales

Projet 1 – Le nouveaux foyers d’exportation du religieux en Asie de l’Est
Responsables : Pan Junliang et Ji Zhe.

Depuis le début du XXIe siècle, le champ religieux mondial a connu de nouvelles reconfigurations liées à des dynamiques religieuses est-asiatiques. D’une part, la circulation de formes religieuses originaires d’Asie, dépassant un cadre régional, se développe rapidement dans d’autres parties du monde à travers des phénomènes de migration et grâce aux développements des moyens de transport et de communication. D’autre part, le relâchement du contrôle politique sur les religions et la croissance économique forte des années 1980-90 ont permis l’émergence dans cette région d’un ensemble de nouveaux mouvements religieux qui savent aujourd’hui parfaitement s’adapter, pour servir leur prosélytisme transnational, aux valeurs et discours de la mondialisation (du pluralisme à l’écologisme) et détiennent de surcroît des ressources financières considérables.

Projet 2 – Circulations religieuses et appropriations spatiales
Responsables : Edouard L’Hérisson et Laurent Nespoulous

Ce projet est centré sur l’analyse des dimensions humaine (idéelle, matérielle) et spatiale des faits religieux. Par là, il s’agit de comprendre dans nos études : les mouvements des individus – circulation des élites religieuses, seules et en réseaux –, des idées – nomadisme des concepts et des modèles de pensée –, des objets et des lieux – cultuels et rituels ; mais également des phénomènes plus statiques qui marquent durablement les espaces, qu’il s’agisse des villes, des monuments funéraires ou autres. L’espace sera également considéré dans une perspective multiscalaire visant à articuler les échelles réduites, par exemple celle des édifices, à celles, plus vastes, des unités territoriales. Les structures érigées pourront dès lors être considérées comme des relais de diffusion et d’implantation des divers éléments retenus comme objets de circulations ou d’ancrage participant au maillage des territoires. La double approche thématique permettra en outre la mise en perspective des phénomènes du point de vue synchronique (dynamiques concomitantes à travers l’Asie de l’Est) comme diachronique (de la Préhistoire à l’époque contemporaine).

Projet 3 – Corps, mémoire et cosmologie
Responsable : Stéphanie Homola (CR, CNRS)


Ce projet étudie les interactions entre le corps et la cosmologie dans la structuration et la transmission des savoirs traditionnels chinois. Il s’intéresse en particulier à des techniques de mémorisation s’appuyant sur la main qui ont été utilisées en Chine dans un grand nombre de savoirs du XIe s. au début du XXe s. et sont toujours employées aujourd’hui pour appliquer et transmettre des connaissances de la vie quotidienne ou des connaissances techniques, le plus souvent dans des domaines de savoir non institutionnalisés, tels que la médecine chinoise, les rituels taoïstes, la
divination, le calcul mental ou l’orientation.

Thème 3. Histoire intellectuelle et traditions spirituelles

Projet 1. Approche de l’histoire intellectuelle en Asie de l’Est à travers les récits biographiques
Responsables : Stéphane Arguillère, Edouard L’Hérisson

L’activité intellectuelle en Asie de l’Est, jusqu’à une date récente, s’est trouvée largement immergée dans un « fait religieux » auquel il est difficile, pour le chercheur, de rendre pleine justice : en effet, son caractère certes protéiforme, mais non sans unité, ressort passablement éclaté de son traitement au prisme de nos approches disciplinaires disjointes. À cette difficulté liée au cloisonnement disciplinaire, s’ajoute son pendant dans les civilisations étudiées, où la pensée se pratique aussi de manière morcelée, dans des registres ou genres littéraires également disjoints et imparfaitement communicants (quoique l’économie qui gouverne cette distribution des activités intellectuelles, ou cette division du travail de la pensée, soit généralement toute autre que celle qui a cours dans notre monde de la recherche). La démarche proposée dans le cadre de ce thème 4, ambitionne, à travers une attention à la pensée non seulement dans ses produits, mais à travers ses acteurs et dans l’exploration concrète de leurs parcours biographiques, de reconstituer autant qu’il est possible l’unité concrète qui se trouve autrement éparpillée par le double morcellement – des pensées de l’Asie de l’Est en champs disjoints, d’une part, et de leur traitement universitaire par des disciplines également séparées, d’autre part.
Pour préciser davantage l’objet et favoriser ipso facto l’approche comparative entre les aires de la zone géographique couverte par l’IFRAE, les membres du projet se proposent, au moins dans un premier temps, plutôt que de se concentrer sur des biographies de penseurs confortablement installés dans l’un des champs traditionnels des pensées considérées, de se pencher sur le parcours d’auteurs se trouvant d’une manière ou d’une autre dans un entre-deux. Ils envisagent en effet plus spécifiquement la trajectoire de penseurs en contexte de reconfigurations idéologiques, en
particulier les bricolages intellectuels qui découlent des interactions entre plusieurs systèmes de pensée (cohabitation de traditions religieuses, influences mutuelles des discours religieux et profanes, contacts avec la philosophie occidentale, œuvres chevauchant deux ou plusieurs registres discursifs normalement disjoints, etc.).
Une telle approche favorisera naturellement les comparaisons entre les aires (Chine, Corée, Japon, Mongolie, Népal, Tibet) et les périodes concernées (de l’époque ancienne à l’époque moderne), ainsi que l’interdisciplinarité (anthropologie, histoire, littérature, philosophie).

Projet 2 – L’école des « Trésors du Nord » du bouddhisme tibétain et l’ANR « For a Critical History of the
Northern Treasures »

Responsable : Stéphane Arguillère

Le projet FCHNT (“For a Critical History of the Northern Treasures”) est un projet financé par l’ANR sur quatre ans (février 2022-janvier 2026) et implanté dans deux équipes de recherche: l’IFRAE et le CRCAO. Son coordinateur scientifique est Stéphane Arguillère (IFRAE, Inalco) et il repose sur deux autres titulaires: Jean-Luc Achard (CNRS: CRCAO) et Jay Valentine (Troy University, Alabama). Trois autres collègues ont été recrutés en septembre et octobre 2022 (une post-doctorante sous contrat à plein temps à l’IFRAE, Cécile Ducher, et deux ingénieurs d’étude au CRCAO). L’équipe FCHNT se réunit en visioconférence une fois par semaine (2h) pour coordonner ses travaux de traduction et de recherche.

Projet 3 – Culture de soi et transformation de l’autre
Responsables : Frédéric Wang et Sébastien Billioud

La culture de soi a toujours constitué une dimension importante des traditions intellectuelles et spirituelles de l’Extrême-Orient. Elle s’accompagne d’une aspiration à l’auto-transformation et de l’idée qu’il est possible, à travers un ensemble de pratiques personnelles ou collectives (intellectuelles, mentales, artistiques, physiques, alimentaires et hygiéniques, rituelles, religieuses, sociales et politiques) d’atteindre un « régime d’activité » supérieur et de s’inscrire ainsi dans un ordre éthique et cosmologique, dans un « macrocosme », qui dépasse les dimensions purement personnelles et mondaines de l’existence. Suivant les traditions, ces pratiques ont porté différents idéaux : celui du sage ou du saint, du bodhisattva, de l’immortel, de l’homme authentique etc. Ces pratiques de culture de soi ont été accompagnées de ce que l’on pourrait qualifier d’optimisme épistémologique, c’est-à-dire d’une conviction non seulement qu’un ordre du monde supérieur existe (la Voie, le Ciel, le vide, etc.), mais qu’il est aussi actualisable et donc susceptible de faire l’objet d’une connaissance, même si cette connaissance n’est pas forcément conceptuelle
(connaissance tacite par exemple) et qu’elle peut aussi relever d’une expérience immédiate (et parfois mystique). Parallèlement, les institutions éducatives, religieuses et politiques ont aussi constamment valorisé cette culture et transformation de soi qui porte, en fonction des contextes, sur des élèves, des disciples, des adeptes, des sujets (d’un souverain), des soldats, etc… La question de la culture de soi rejoint alors celle de la transformation de l’autre, de la domination, du contrôle et de la promotion d’un ordre religieux, politique ou civilisationnel. Entre ces deux dimensions, celle de la culture de soi appréhendée au niveau du sujet (et de l’intersubjectivité), et celle de la transformation de l’autre appréhendée au niveau des institutions existent évidemment bien des tensions. C’est cet ensemble d’éléments (la culture de soi, la transformation de l’autre et les tensions entre ces deux pôles) que ce projet se propose d’explorer.

Projet 4 – Sinologie classique et études religieuses
Responsable : Ji Zhe

En tant que partie intégrante de la structuration sociopolitique, les religions et systèmes de pensée chinois ont constamment intéressé les études sinologiques, en particulier à l’époque où la sinologie classique se forme, du XVIIIe siècle au début du XXe siècle. Si la sinologie a développé un ensemble de connaissances, elle ne s’intègre pas toujours aisément dans le grand projet des sciences sociales visant, dès cette époque pionnière, à construire une compréhension « universelle » de l’humanité. Réciproquement, les sciences religieuses émergentes, qui ont eu tendance à privilégier comme objets les monothéismes et les religions des sociétés tribales, ont eu du mal à interpréter les faits religieux du monde chinois. Ce projet tentera de revisiter l’histoire de ce dialogue malaisé en s’ingéniant, entre pluralité nécessaire des disciplines et maintien d’un horizon paradigmatique commun, d’entrecroiser les acquis de la sinologie classique avec les premières avancées des sciences du religieux. La mission de ce projet est triple : premièrement, il fera une relecture critique des études sur l’histoire et de la fonction sociale des religions chinoises faites par les sinologues classiques, en prenant compte des données de terrain récentes et des recherches
contemporaines. Deuxièmement, il cherchera à examiner systématiquement la manière dont les sinologues de l’époque ont produit des connaissances sur la Chine et à placer leur méthodologie dans le contexte de l’évolution des sciences sociales de la religion dans son ensemble. Enfin, les membres du projet espèrent que ces lectures et réflexions apporteront une nouvelle inspiration à l’élaboration théorique dans les études sur la religion dans la Chine contemporaine. Ce projet se focalise avant tout sur les sinologues français ou francophones, mais ne s’y limite pas. Il s’intéresse également à l’interlocution entre les sinologues français et les érudits chinois ainsi que l’impact de la sinologie française sur le monde intellectuel chinois, dans l’histoire comme dans l’actualité. Dans ce cadre, pour la sinologie missionnaire, Stéphanie Homola étudiera les circulations des mnémotechniques de la main entre la Chine et l’Europe. Ces techniques de mémorisation s’appuyant sur la main sont utilisées pour appliquer et transmettre des connaissances de la vie quotidienne, religieuses ou techniques dans divers domaines de savoir, tels que la médecine chinoise, les rituels taoïstes ou bouddhiques, la divination, le calcul mental ou l’orientation.