Il faut, entend-on dire souvent de parents inquiets, bien choisir ses amis. Et l’on comprend par là, dans un savoir d’expérience qui s’est imposé aux aînés et qu’ils ont eux-mêmes appris de leur père et de leur mère, qu’il faut éviter les « mauvaises fréquentations », délétères, corruptrices et qui font irrémédiablement dévier de la pente supposée naturelle au bien. Comme si les amitiés de groupe n’apprenaient rien, ni loyauté, ni défense inconditionnelle, ni vertu de courage. « Les vrais amis se comptent sur les doigts d’une main » et nous sommes le plus souvent pris dans « des accointances et des familiarités nouées par quelque occasion ou commodité par le moyen de laquelle nos âmes s’entretiennent », se confortent et s’enferment en elles-mêmes, jamais secouées, jamais décentrées. Et nous n’aurions affaire qu’à de « faux amis » semblables à ces pièges des langues étrangères où l’on ne fait résonner que la langue natale. « Les vrais amitiés sont désintéressées » et se reconnaissent dans la durée. Mais que faire alors de l’entraide, du secours et comment les intégrer dans les profits divers que l’on peut à bon droit attendre des compagnons de route et de vie ? Et que faire des amitiés qui ne durent pas, qui se perdent, qui s’épuisent ou se fatiguent ? N’ont-elles rien été, n’ont-elles rien appris, faut-il nier dans l’absence d’aujourd’hui la co-présence d’alors ? La perte d’un ami, toujours physique dans la mort ou l’étiolement, ne vient-elle pas plutôt paradoxalement renforcer la nécessité du rapport amical, d’un autre soi-même qui bouscule par sa franchise, décale par son expérience, instruit de ce que je ne sais ni faire ni dire, console par son tact … (Sources : Cairn)
Avec la participation de trois membres de l’IFRAE : DOAN Cam Thi, “L’amitié à l’épreuve de la mondialisation: une lecture de trois nouvelles de Phan Hồn Nhiên”, p. 159-173; François Macé, “De la fraternité à l’amitié”, p. 85-106, ; Frédéric Wang, “L’amitié au-delà de la mort: quelques récits exemplaires dans la Chine ancienne”, p. 31-44.
Diogène, n° 265-266, “De proches amis venus de loin: amitiés dans l’Asie orientale”, 2019
Rédacteur invité : Stéphane Feuillas (Université Paris Cité, CRCAO)
Ancien élève de l’École Normale Supérieure de la rue d’Ulm, agrégé de Lettres Modernes et Docteur en philosophie de la Chine classique, il est professeur de littérature et pensée de la Chine classique à l’Université Paris Cité. Ses recherches portent sur la nature de l’expression philosophique de la dynastie des Song et sur les modalités de la philosophie du changement. Il a publié plusieurs traductions de l’œuvre littéraire de Su Shi (1137-1101), les Nouveaux Discours de Lu Jia (2012), et s’est chargé, dans l’Anthologie de la poésie chinoise publiée dans la Pléiade (2015), des poèmes de la dynastie des Song (960-1279). Outre de nombreux articles parus dans des revues scientifiques ou des ouvrages, il a dirigé la publication d’un volume intitulé Sujet, moi, personne (2004) consacré à la question du sujet dans les cultures d’Extrême-Orient. Il co-dirige aux Belles Lettres, avec Anne Cheng et Marc Kalinowski, la collection « Bibliothèque chinoise » qui a pour but de présenter en version bilingue les textes majeurs écrits en langue classique coréens, chinois, japonais et vietnamiens. (Sources : Cairn).
Rédacteur invité : Frédéric Wang (Inalco, IFRAE)
Agrégé en langue et culture chinoises, docteur en littérature française (sémiotique) et en études chinoises, il a été maître de conférences à l’ENS LSH (Lyon) et à l’Université Lumière Lyon 2 avant de devenir, en 2008, professeur en histoire de la pensée chinoise à l’Institut des Langues et Civilisations orientales (Inalco). Ses recherches actuelles portent sur le confucianisme, notamment celui du xvie siècle. Auteur d’Approche sémiotique de Maurice Blanchot (1998) et d’une cinquantaine d’articles publiés dans des revues scientifiques ou des ouvrages collectifs, il a dirigé l’ouvrage collectif Le choix de la Chine d’aujourd’hui : entre la Chine et l’Occident (2010). (Source : Cairn)