Le nom formel japonais mono. Approche sémantique syntaxique et énonciative

→ Le livre chez l’éditeur

Le présent ouvrage porte sur l’un des mots les plus fréquents de la langue japonaise contemporaine : le nom mono, traduit généralement par “chose” ou “objet”. Ce nom a la particularité de ne pas avoir de référent en propre et de pouvoir désigner aussi bien un objet concret qu’un concept abstrait, voire un ensemble d’individus partageant quelques traits assez larges. Véritable “nom caméléon”, mono est également employé à des fins grammaticales ou énonciatives. Il est alors qualifié de nom formel. Derrière une apparente banalité, mono est ainsi une unité linguistique protéiforme difficile à enfermer dans une catégorie donnée. Support d’une perception du monde sensible proprement japonaise, mono avait autrefois le sens très large de “ce que l’on ne peut changer” et pouvait alors désigner des choses aussi diverses que le destin, le rythme des saisons ou les règles du monde. La langue japonaise distingue en effet deux classes de choses : celles relevant des koto (référents événementiels) et celles des mono (référents stables).
À travers des observations en discours, cet ouvrage précise les contours de ces emplois référentiels et fonctionnels. Il explore également la contribution sémantique de mono à la réalisation de tournures expressives plus ou moins figées en les reliant à ce trait fondamental de stabilité.
Cet ouvrage s’adresse à toute personne qui souhaiterait disposer d’éléments théoriques pour mieux comprendre le fonctionnement des noms formels et, en particulier, les emplois de mono, et aussi aux linguistes curieux de la langue japonaise et intéressés par les questions de prédication nominale ou d’expression de la modalité. (source : Presses Universitaires de Bordeaux)

Jean Bazantay est maître de conférences à l’Inalco, département des études japonaises.

L’expansion du shintō : entre religiosité exilée, convictions religieuses et idéologie impériale

→ L’article en ligne

Mots clés : shintō, empire japonais, sanctuaire d’outre-mer, colonialisme, Mandchourie

La perception du shintō moderne est au cœur d’une tension contradictoire. D’un côté, il est placé dans la continuité d’une tradition centrée sur le culte des kami, les divinités et esprits autochtones définis comme tels après l’introduction du bouddhisme au VIe siècle, souvent associés à un lieu particulier et consacrés dans des sanctuaires. De l’autre, il est disqualifié en tant que système instrumentalisé par les autorités sous la forme du shintō d’État (kokka shintō 国家神道). Ces deux dimensions s’entrechoquent au sein des sanctuaires accueillant concomitamment les cérémonies officielles et les cultes du quotidien. Cet aspect est d’autant plus visible dans le cas de l’implantation du shintō dans les colonies où celui-ci est, d’une part, associé à la propagation de l’idéologie impériale auprès des populations locales, d’autre part, décrit comme l’un des ciments identitaires des communautés japonaises. Là encore, les sanctuaires sont le lieu où apparaît clairement cette double nature. Cet article se propose de mettre en lumière la teneur du shintō moderne par le prisme des sanctuaires construits dans la sphère impériale. (source : Gis Asie)

Edouard L’Hérisson est docteur en études japonaises (Inalco) et post-doctorant à l’IFRAE . Ses recherches portent sur la propagation du shintō au sein de l’empire japonais et sur l’expansion des nouveaux mouvements religieux japonais à l’étranger.

A & A2

Projections des deux films documentaires A et A2, de Mori Tatsuya 森達也

Vendredi 24 septembre 2021, de 17h à 21h – VOST (anglais)
Projection suivie de brèves interventions de Jean-Pierre Berthon (retraité du CNRS), et César Castellvi (CRCAO, Université de Paris), puis d’un échange avec le public

Vendredi 1er octobre 2021, 17h-21h – VOST (anglais)
Projection de brèves interventions de Mary Picone (CRJ-CCJ, EHESS) et Nicolas Pinet (CRJ-CCJ, EHESS, puis d’un échange avec le public.

Les deux projections auront lieux dans l’auditorium de l’Inalco, situé au 65 rue des Grands Moulions, Paris 13e.

Entrée libre et gratuite dans la limite des places disponibles

“En 1996, le documentariste japonais MORI Tatsuya a été autorisé à filmer les activités quotidiennes des membres de la nouvelle religion Aum Shinrikyo, peu après les attentats au gaz sarin commis par ce groupe, le 20 mars 1995, dans le métro de Tokyo, causant au moins 26 morts et 5700 blessés. Il en a tiré deux documentaires, intitulés A (1997) et A2 (2001). Si ces films dépeignent la vie quotidienne du groupe religieux, renommé Aleph en 1999, ils dressent un portrait sans concession des groupes et personnes amenées à interagir avec lui, médias, police, voisins, et plus largement, la société japonaise au tournant du siècle. “

Projections organisée par Nicolas Pinet, en lien avec le groupe de recherche Populations japonaises

Contact : projections@fenetres-japon.fr

L’amour, la guerre, la fête Merveilles de l’art narratif japonais

Du 10 septembre au 5 décembre 2021
Exposition organisée au musée Rietberg, Zurich, Suisse

Commissaires : Khanh Trinh, Melanie Trede, Estelle Bauer. 

L’art narratif japonais conjugue les plaisirs de l’art et le quotidien de manière absolument unique. Il se décline sous de multiples formes et sur les matériaux les plus divers – des feuillets d’album d’un format miniature aux panneaux se déployant dans l’espace, des exquises petites boîtes en bois laqué noir et décor à la feuille d’or aux vases en porcelaine soigneusement ouvragés et aux élégants kimonos en soie.

Il s’agit d’un genre propre à l’art japonais, caractérisé par sa multimédialité. Il puise son inspiration dans le bouddhisme, la littérature et la poésie, mais aussi le théâtre, pour créer des univers visuels d’une imagination débordante à partir des matériaux les plus variés. Les citations et les allusions à des épopées, des histoires d’amour et des légendes se diffuseront encore davantage grâce à leurs interprétations raffinées dans des gravures ou des peintures ainsi que sur des objets d’artisanat, et finiront par s’ancrer dans la conscience collective. Vit alors le jour un espace narratif multimédial fascinant, qui alliait plaisir artistique et éducation, tout en étant intégré dans le quotidien.

En s’appuyant sur plus de 100 peintures, objets en laque, porcelaines, kimonos en soie, objets en métal, estampes colorées ou albums de gravures sur bois, datant du XIIIe au XXe siècle, l’exposition nous introduit dans un monde à multiple facettes, vivement coloré et inventif, celui de l’art narratif japonais.

Les précieux prêts proviennent de 35 musées européens différents et de collections privées de Suisse, de France, d’Allemagne, d’Italie, d’Autriche, de Belgique, des Pays-Bas, de Grande-Bretagne, d’Irlande, de Suède, de Hongrie et de Russie. Certaines œuvres provenant des propres fonds du Musée Rietberg seront pour la première fois exposées dans le contexte de l’art narratif japonais. (source : Musée Rietberg)

Groupe de philosophie japonaise

Dates : Samedi 29 mai 2021
Lieu : Vidéoconférences sur Zoom

9h30 -12h00 heure de Paris / 4h30 – 7h00 PM heure de Tôkyô

9h30-10h10 : « Ki, perception, sentiment – une phénoménologie linguistique de l’expérience antéprédicative », KUWAYAMA Yukiko, Université Hildesheim, Inalco  10h10-10h25 : questions – réponses
10h25-10h35 : pause
10h35-11h15 : « Grammaire du kokoro (心) », Raphaël PIERRES, Université Paris I-Panthéon Sorbonne
11h15-11h30 : questions – réponses
11h30-12h : discussion générale
12h00 : fin de séance

Pour le lien Zoom, prière de contacter : takako.saito [@] inalco.fr

contact courriel : takako.saito [@] inalco.fr, akinobukuroda |@] gmail.com, arthur.mitteau [@] univ-amu.fr, simon.ebersolt [@] gmail.com

Résumé (KUWAYAMA Y.)
    Dans cet exposé, nous allons présenter un résumé de notre thèse qui s’intitule à l’origine, en allemand, « Ki, fühlen, empfinden – eine linguistische Phänomenologie vorprädikativer Erfahrungsformen ». Elle est caractérisée par une méthodologie linguistique phénoménologique. Pour approcher la dimension antéprédicative de l’expérience qu’on peut désigner comme « perception et sentiment », nous posons quelques étapes : dans un premier temps, nous allons contextualiser la thèse du discours phénoménologique confronté directement à la diversité des langages naturels, notamment concernant la description de phénomènes ; dans un deuxième temps, nous introduirons le mot ki à l’aide des traductions processuelles d’expressions en utilisant un lexique ; dans un troisième temps, nous ferons le parallèle entre les deux domaines ki et Gefühl dans la langue allemande. Partant d’un repérage des similarités entre ces deux champs notionnels avec un focus sur l’approche de Yuho Hisayama basée sur la « nouvelle phénoménologie » chez Hermann Schmitz et Gernot Böhme, nous analyserons la différenciation des deux domaines.
    Le mot ki a beaucoup de sens différents. On le remarque notamment quand on compare ses traductions possibles entre le japonais et les autres langages naturels. Le domaine ou le champ notionnel ki (comme l’ensemble des sens de l’expression, ce que J.L. Austin désigne comme word meanings) peut apparaître plus vaste que celui du mot Gefühl en allemand. Le sens d’« attention » (par exemple ki o tsukeru – faire attention) est un bon exemple. Les traductions comme « en un souffle » (in einem Atemzug, 一気に, ikki ni), « l’air » (Luft, 空気, kūki), « l’intention » (Intention, 気になる, ki ni naru1, 気にする ki ni suru 2), « le courage » (Mut, Mutig-Sein, 勇気 yūki), ou « le mode de vouloir et l’être énergétique » (Wollen und Kraftvoll-Sein, 志気 shiki ou 意気 iki) peuvent clairement souligner la diversité des sens du mot. Le mot ki peut exprimer différents caractères de l’homme et du monde comme la matérialité, la corporalité, la spiritualité, l’affectivité ou l’émotionnalité. Ainsi, le mot ki peut paraître complexe à traduire. En comparaison, le mot kokoro ( 心 , Herz ou Herzgeist,3 cœur) a son noyau sémantique à la dimension d’expérience plus privée des sentiments, même s’il peut toucher également des dimensions de sentir, comme le mot ki.4 Outre une introduction historique à propos de la distinction de kokoro et ki de néoconfucianisme, nous travaillons à trouver un axe entre une approche orientée spatialement (phénoménologie de l’atmosphère et ki comme l’approche de Hisayama, Schmitz et Böhme) et de la perspective de la première personne, qui sent et parle de son cœur (心の内を打ち明ける kokoro no uchi o uchiakeru).
    De cette manière, nous arrivons à toucher la frontière entre dimension de l’expérience antéprédicative et prédicative au moyen des expressions verbales et concrètes. Dans le cadre de l’exposé, nous avons choisi de nous concentrer sur la dimension antéprédicative au moyen d’idées merleau-pontiennes comme la « pensée sauvage » ou l’« existence brute et préalable ». Il apparait que même cette étape puisse tourner autour du cœur (心) qui change (心変わり kokorogawari) comme la météorologie (天気, tenki), mais qui prend des décision (決心する) de temps en temps et qui trouve sa paix (穏やかな 心) également de temps à autres.

 1. L’expression « ki ni naru » (気になる) peut être traduit comme « quelque chose me concerne » en français.
2. L’expression « ki ni suru » (気にする) peut être traduite comme « s’inquiéter de quelque chose » ou « se préoccuper de quelque chose ». J’ai hâte de poser de telles questions ouvertes dans le cadre de mon exposé concernant les traductions des expressions en français.
3.  Wohlfahrt (2001): p. 17.
4.  c.f. Yamaguchi (1997): p. 61., Kimura (1995): p. 126f., Hisayama (2014): p. 89.


Résumé (R. PIERRES)
    Nous mobilisons ici la notion japonaise de 心 comme outil pour dépasser – ou problématiser – le partage entre intérieur et extérieur. 心 (kokoro) est l’un des termes les plus couramment utilisés en japonais pour désigner le mental, quoiqu’il englobe une dimension affective : en ce sens, il renvoie à la fois au coeur et à l’esprit, et semble subsumer la séparation entre pensée et corps (de fait, nous le retrouvons également comme clé dans le verbe 思う, omou, penser). Nous cherchons ici à en déployer les implications. Les coordonnées de notre interrogation peuvent être posées en situant la notion de 心 à l’aide des outils proposés par Ricoeur dans le quatrième chapitre de L’homme faillible, en particulier vis-à-vis des notions de sentiment et de θυμός (thumos).
    Dans ce cadre conceptuel, nous nous attachons plus spécifiquement à analyser la portée et les limites de la notion de 心 en regard du problème de la localisation du mental. Ce problème trouve une première traduction remarquable dans la philosophie de Nishida autour de l’idée que l’esprit doit et ne peut pas être localisé dans le monde. C’est sous cet angle que nous commençons à saisir en quoi la notion de 心 ouvre à une forme de dépassement de l’intériorité, en tant que notion mixte. Comme Nishida l’indique dans un article de jeunesse, 心の内と外, il n’y a pas d’un côté le monde intérieur, de l’autre, le monde extérieur : en ce sens, le 心 n’est ni intérieur ni extérieur. En s’appuyant sur ce caractère mixte du 心, il est possible de tendre vers une forme de monisme. Au début de son travail, dans 善の研究, Nishida accorde une grande importance à l’expérience pure (純粋経験) où la distinction entre intérieur et extérieur n’a pas cours, à la manière du mouvement instinctif de l’animal, ou de la perception du nouveau-né. Le paradoxe tient à ce que si pensée et étendue ne sont pas deux ordres logiques ou ontologiques strictement distincts, alors la question du lieu de la pensée doit être reposée.
    D’un deuxième point de vue, la notion de 心 signale en effet l’ancrage du soi dans la chair : elle joue à la fois comme point d’application des catégories spatiales à l’esprit, en tant qu’il est associé à un corps particulier, situé dans un espace déterminé. Pour aborder cette tension d’une manière plus aisément compréhensible, nous ouvrirons ici une étude de cas, que nous désignons provisoirement comme grammaire du 心. L’enjeu de cette enquête lexicologique est de rendre plus concrète la question théorique de l’incarnation de l’esprit. Si son premier objet est bien l’observation d’expressions courantes en japonais afin d’en mesurer la portée, il faut toutefois faire un pas de plus. En effet, la mention par Nishida de l’éthique et de l’esthétique comme chemins pour retrouver cette indistinction nous invite à étudier des usages remarquables dans les textes poétiques, mais aussi dans certains textes bouddhiques classiques. Ces analyses ponctuelles ont pour horizon une conception non-naturaliste de l’incarnation, dans le fil de ce que Merleau-Ponty désigne, en particulier dans ses cours de 1954 au collège de France, comme « l’institution des sentiments ». Ce caractère institué du sentiment permet enfin de remettre en question le caractère privé que semblait d’abord impliquer la notion de 心. L’influence de la polémique analytique contre l’intériorité conduit ainsi Ōmori à souligner que les sentiments ne sont pas indépendants des situations, contre la tendance à les renfermer dans le coeur. La critique de l’intériorité dans 物 と心 engage à la fois une dimension épistémologique, en tant qu’il s’agit de dépasser la distinction entre la chose et sa représentation. C’est bien l’intériorité du coeur qui se trouve battue en brèche (「心」には「中」がないのである。) Ce qui était tenu pour le plus intime, l’au-dedans radical, est projeté d’un même mouvement dans la dimension d’un environnement et d’une atmosphère. Faisant retour vers notre point de départ, il faut bien, à la fin, poser à nouveau la question, afin de mesurer apports et apories de cette proposition singulière : la philosophie du 心 est-elle enfin la « philosophie du coeur » que Ricoeur appelait de ses voeux, pour dépasser un certain partage entre intériorité et extériorité ?

L’hyperféminisation des chanteuses japonaises : shôjo kashu et aidoru

→ L’article en ligne

Chiharu Chûjô et Clara Wartelle-Sakamoto, « L’hyperféminisation des chanteuses japonaises : shôjo kashu et aidoru », Transposition [En ligne], 9 | 2021, mis en ligne le 01 mars 2021. 

Le phénomène des aidoru, ces jeunes vedettes féminines à la fois chanteuses, danseuses et actrices, souvent issues de groupes de pop japonaise fabriqués de toutes pièces par une puissante industrie musicale, s’est grandement développé à la fin des années 1960. La forte médiatisation de ces jeunes artistes les soumet à des exigences importantes, en particulier physiques et morales : elles doivent adopter des tenues et des comportements pour satisfaire et fidéliser leurs fans. Mais leur représentation d’adolescentes modèles aux caractéristiques physiques et aux attitudes hyperféminisées peut troubler, tant elle joue à la fois sur un mode de séduction et d’allusions sexuelles, et sur une apparence volontairement enfantine et immature. Leur carrière et leurs salaires étant déterminés par leur notoriété, cette dernière pouvant rapidement être mise à mal par un scandale touchant à leur vie privée, les aidoru évoluent dans une relation avec leur public qui s’apparente à un dispositif de voyeurisme et de fan service.

Cette figure de la chanteuse ou actrice adolescente à succès s’observe déjà avant-guerre, avec le phénomène des shôjo kashu (« fillettes chanteuses »). Elles incarnent alors la pureté et l’innocence de l’enfance et sont bien souvent cantonnées à des répertoires et des rôles qui valorisent ces qualités. Or, dans les années 1950, des artistes comme Misora Hibari semblent s’éloigner peu à peu de cette vision et offrir une image jouant sur une ambiguïté séductrice s’incarnant dans un corps d’enfant. Dans cet article, nous reviendrons sur les contextes historiques et culturels dans lesquels ont évolué shôjo kashu et aidoru, afin de mieux comprendre ce qui constitue un phénomène majeur dans l’industrie musicale japonaise. (source : OpenEdition – Transposition)

Clara Wartelle est postdoctorant de l’IFRAE,maître de langue de japonais à l’Inalco et chercheuse associée à la Bibliothèque Nationale de France.

Le développement de dispositifs techniques de surveillance des espaces publics et la participation des habitants au maintien de l’ordre au Japon

→ L’article en ligne

Craignant une baisse de confiance à l’égard des policiers ainsi qu’un affaiblissement des liens sociaux au sein des communautés locales en raison d’une urbanisation croissante du pays, la police japonaise s’est attachée à renforcer localement ses partenariats avec la population, notamment à partir des années 2000. Dans cette perspective, l’État japonais a orienté l’aménagement des espaces publics en s’inspirant de la prévention situationnelle, et a encouragé le développement de différentes technologies de surveillance. Ceci a conduit à la mise en place d’un maillage dense de réseaux de surveillance dans les espaces publics, sous couvert de « lien social » et de « protection » des citoyens, non seulement dans des quartiers commerciaux marqués par une forte fréquentation de clients extérieurs, mais également dans des quartiers résidentiels où les commerces locaux sont souvent fréquentés par des habitants du quartier. Des enquêtes de terrain ainsi que l’étude de documents législatifs produits depuis les années 1970 montrent à cet égard que les actions préventives réalisées par les habitants comportent un aspect d’éducation morale à destination des enfants. Les technologies de surveillance ont ainsi contribué à la légitimation d’une surveillance par les habitants, exerçant une forme de tri social au sein des quartiers. (source : Carnets de géographes)

Naoko Tokumitsu-Partiot est maîtresse de conférences à l’Inalco, membre de l’IFRAE. Ses travaux portent sur les mobilisations territoriales des habitants dans un objectif de maintien de l’ordre, ainsi que sur les rapports entre police et société civile en France et au Japon.

Les yeux de la ville : vigilance et lien social France-Japon, analyses croisées

→ Le livre chez l’éditeur

Naoko Tokumistu, « Les Yeux de la ville : vigilance et lien social France-Japon, analyses croisées », Hémisphère, Paris, 2021, 568p.

En réponse à un sentiment croissant d’insécurité, les actions de prévention initiées par des particuliers se multiplient. Ce livre étudie leur récent développement à l’échelle du quartier, en France et au Japon, et en propose une analyse croisée entre les deux pays.

Car, tout en accordant de l’importance au lien social, la France et le Japon adoptent des approches contrastées. Ainsi, en France, ce type d’action est surtout le fait d’agents formés ou rémunérés, alors qu’au Japon, le nombre de bénévoles chargé du maintien de l’ordre a été en augmentation. Dans le cadre de pratiques telles que les « médiateurs de rue » et les « voisins vigilants » en France, et les groupes d’habitants au Japon, le fait que la prévention tende à trier les citoyens au nom de valeurs considérées comme autant de « biens » du quartier transparaît notamment, au Japon, dans les actions des habitants pour la « fabrique de la ville» (machi-zukuri); tandis qu’en France, les liens sociaux représentent surtout un outil à disposition d’agents spécialisés.

Revêtant une portée d’éducation morale, le quartier japonais peut alors apparaître, en contraste avec le cas français, comme une forme de famille visant à se substituer à la famille contemporaine jugée défaillante, sur fond de réappropriation de la notion de tradition, considérée comme une charnière dans un contexte de délitement des liens sociaux au sein de la famille.

Naoko Tokumitsu-Partiot est maîtresse de conférences à l’Inalco, membre de l’IFRAE. Ses travaux portent sur les mobilisations territoriales des habitants dans un objectif de maintien de l’ordre, ainsi que sur les rapports entre police et société civile en France et au Japon.

Le concept émergent entre des communautés. Le cas de Kuki Shûzô (1888-1941)

Le livre chez l’éditeur

Simon Ebersolt, « Le concept émergent entre des communautés. Le cas de Kuki Shûzô (1888-1941) », dans Alain Rocher (dir.), Regards russes et français sur les philosophies asiatiques, Bordeaux, Maison des Sciences de l’Homme d’Aquitaine (MSHA), 2020, p. 141-168.

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Groupe d’étude de philosophie japonaise

VISIOCONFÉRENCE

Dates : Samedi 27 juin 2020 – 13:00 – 15:30
Lieu : Zoom

13h00-13h30 suivie de discussion
Raphaël PIERRÈS (Université Paris I Panthéon-Sorbonne)
Titre : Pour une analyse comparatiste du problème de l’intériorité

14h00-14h15 Pause

14h15 – 14h45 suivie de discussion
KURODA Akinobu (Université de Strasbourg)
Titre : Une phénoménologie de l’ombre – Une lecture croisée d’Éloge de l’ombre et de L’OEil et l’esprit 

15h30 la fin de séance 

Les conférences seront tenues sur Zoom.
Inscription : Takako Saito

Résumé des interventions 

Raphaël Pierrès : Pour une analyse comparatiste du problème de l’intériorité

Nous partons du constat que les débats sur le caractère européen du sujet, très polarisés, semblent trop souvent réducteurs: il y a ou il n’y a pas de sujet hors de l’Occident, tout ou rien. Par contraste, mobiliser la notion d’intériorité permet d’introduire des nuances dans ces grandes oppositions. Nous désignons par intériorité un modèle de l’esprit comme espace intérieur, indissociable de pratiques historiquement et géographiquement situées. Or, il apparaît difficile de défendre l’idée qu’il n’y a rien de tel que l’intériorité au Japon, pas de pratiques intérieures, aucune présence du vocabulaire de l’intériorité dans les textes littéraires et théoriques 1 .
Toutefois, il ne suffit pas de se contenter du repérage de ce trait commun: il s’agit au contraire pour nous de le prendre pour base d’un travail philosophique de comparaison et de problématisation. Un premier enjeu de ce travail comparatiste tient ainsi à la tentative théorique d’une historicisation, qui ne soit pas une relativisation, des structures: car les structures, une fois constituées, ont une résistance, et tendent à orienter vers des formes qui ne sont pas arbitraires. Par cette enquête comparatiste, il s’agit de mettre à jour les contraintes qui orientent tel ou tel tracé du partage entre intériorité et extériorité.
Un second enjeu engage la problématisation du motif-même de l’intériorité. D’un côté, prendre au mot cette image conduit à des contradictions logiques, difficiles à surmonter, qui engagent le statut épistémologique de l’introspection: il y a de solides raisons de penser que le modèle de l’intériorité conduit à concevoir les idées comme privées –ce qui pose des difficultés en théorie de la signification2 –ou qu’appliquer à l’esprit la logique du lieu est une faute de grammaire, une erreur de catégorie3 .
Mais de l’autre côté, ne pas du tout prendre l’intériorité au pied de la lettre, la considérer simplement comme un mythe ou un faux problème tend à désincarner complètement l’image, à la couper de son socle historique, c’est-à-dire à en manquer l’effectivité pratique. Dès lors, faut-il renoncer à se figurer l’esprit en termes d’intériorité, pour privilégier, par exemple, une conception sociale de ce que nous désignons comme mental, ou bien faut-il maintenir un usage du réseau sémantique de l’intériorité afin de penser la situation du mental, et tout particulièrement, son incarnation?
C’est dans cette perspective qu’il nous faut désormais faire un pas de plus, et passer du repérage de similitudes à l’analyse de différentes manières dont l’intériorité a pu être problématisée, en particulier dans la philosophie japonaise. En ce sens, il nous apparaît tout spécialement remarquable que la réception de la philosophie européenne au début de l’ère Meiji ait donné lieu à des tentatives d’élaborer des phénoménologies dont le fondement ne soit pas l’égologie. Cet axe problématique (restreint pour cet exposé aux critiques phénoménologiques de l’intériorité4 ) nous permettra ainsi de jeter une lumière nouvelle sur les notions de 場所5 et de風土6 en tant qu’elles peuvent être mobilisées pour interroger la situation et l’incarnation du mental selon un autre mode que celui de l’intériorité.
________________
1. A l’exception notable de Karatani (1980).
2. Wittgenstein (1953). Voir aussi Bouveresse (1976) et Descombes (1995).
3. Ryle (1949).
4. Heidegger (1927). Voir aussi Patocka (1936), Merleau-Ponty (1945), Sartre (1936).
5. Nishida (1911, 1918).
6. Watsuji (1935).

KURODA Akinobu : Une phénoménologie de l’ombre – Une lecture croisée d’Éloge de l’ombre et de L’OEil et l’esprit

Si Merleau-Ponty avait lu Éloge de l’ombre de Tanizaki, il aurait pu ajouter le nom de l’écrivain japonais à côté de Balzac, Proust, Valéry et Cézanne qui partagent tous « la même volonté », selon le philosophe français, « de saisir le sens du monde ou de l’histoire à l’état naissant ». À partir de cette hypothèse inspirée par le concept de « texture de l’Être » (L’oeil et l’esprit) et celui de « profondeur de l’être » (Le visible et l’invisible), cette communication se propose de présenter une nouvelle lecture qui consiste en une approche phénoménologique de ce chef-d’oeuvre d’essai esthétique, « l’un des textes les plus séduisants qui aient été écrits sur l’esthétique traditionnelle japonaise1 ». Il s’agit d’une tentative d’y trouver autre chose qu’« un éloge funèbre » qui est né du « sentiment poignant qu’un certain monde s’effondrait, effondrement dont l’intrusion de l’Occident était, sinon l’unique responsable, du moins l’occasion2 » ou « ce que le culte moderniste de la lumière était en train de faire perdre à l’humanité3 ».
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1 Jean-Jacques Origas, « TANIZAKI JUN.ICHIRŌ (1886-1965) », © Encyclopædia Universalis France.
2 Jacqueline Pigeot, Éloge de l’ombre, notice, in OEuvres, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1997, p. 1888.
3 Max Milner, L’envers du visible. Essai sur l’ombre, Éditions du Seuil, 2005, p. 388.