Retour sur l’affaire Ghosn et la justice japonaise

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Depuis son arrestation le 19 novembre 2018 à l’aéroport de Haneda jusqu’à sa sortie spectaculaire de l’archipel le 29 décembre 2019, l’ancien président de l’Alliance Renault-Nissan-Mitsubishi a acquis au Japon, et à l’extérieur, la réputation de justiciable le plus célèbre de la planète. Depuis lors, le système judiciaire japonais s’est trouvé sous les projecteurs des médias internationaux et de l’ONG Human Rights Watch, dans son rapport annuel rendu public le 14 janvier 2020, instruisant un procès en règle, à charge, contre le fonctionnement de la justice japonaise : collusion entre le parquet spécial de Tôkyô et Nissan par où le scandale est arrivé, arrestations répétitives et arbitraires, violation des droits élémentaires de la défense, pressions moyenâgeuses pour obtenir des aveux, conditions précaires de garde à vue et de détention, « justice de l’otage »… La répétition, en France, des mêmes argumentaires assénés par la famille du prévenu, son conseil, les médias et les réseaux sociaux ont fini par fixer une doxa paradoxale, soit que Carlos Ghosn devait être condamné, moins pour avoir violé les lois japonaises, qu’en tant que représentant emblématique des dérives d’un capitalisme mondialisé, soit qu’il devait être absous, en tant que victime d’un système judiciaire rétrograde, indépendamment même des chefs d’inculpation qui pesaient sur sa tête. Mais le traitement médiatique infligé à cette affaire est aussi symptomatique de la résurgence des vieux stéréotypes sur l’Asiatique véhiculés par le cinéma, la littérature et la bande dessinée depuis des décennies. Dans l’imaginaire occidental, le « Jaune » y est souvent présenté comme sournois, impassible, impénétrable, hypocrite et cruel. Et dans sa version japonaise, ces qualificatifs sont encore plus hyperbolisés et essentialisés. D’autant plus que les contempteurs japonais de Carlos Ghosn en cocheraient toutes les cases. Ils définissent aux yeux des Occidentaux les contours flous d’une altérité radicale, potentiellement menaçante, d’une sur-insularité qui n’est pas seulement géographique, mais socio-culturelle, dont le système judiciaire de l’archipel serait en définitive le fidèle reflet. C’est la raison pour laquelle la critique de la justice japonaise, vue de l’extérieur, participerait de la confirmation éclatante, et somme toute confortable, de ces stéréotypes. Peu importait en définitive que les citoyens japonais fussent également « pris en otages » par leur propre système judiciaire, dès lors que l’on restait dans l’entre-soi insulaire… Quant aux quelques voix qui ont tenté de faire valoir un point de vue un peu plus nuancé sur le fonctionnement de la justice japonaise, elles ont été soit largement ignorées, soit discréditées, tant elles allaient à l’encontre de l’opinion dominante. Indiscutablement la chute de Carlos Ghosn a pris l’allure d’une saga qui a défrayé la chronique judiciaire tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’archipel. Aujourd’hui, avec le recul, il est possible de confronter les visions et représentations antagoniques de la justice japonaise, d’analyser les stratégies et discours déployés par les protagonistes dans une affaire qui demeure hors normes, tant en raison des enjeux que de la personnalité des acteurs, et qui a révélé, au-delà des polémiques et des simplifications hâtives, des aspects méconnus et controversés du fonctionnement de la justice japonaise.(source : SFEJ)

Eric Seizelet, professeur émérite, Université de Paris, IFRAE

Indivituality and Universality. French Journal of Japanese Studies (English Selection) – Cipango

Cipango – French Journal of Japanese Studies [Online], 6 | 2021, Online since 16 December 2021. URL: http://journals.openedition.org/cjs/1485; DOI: https://doi.org/10.4000/cjs.1485

Lien direct : Open Edition

Table des matières :
Sarah Terrail-Lormel, “From Neurasthenia to Morita Therapy: the development of psychiatric knowledge in modern Japan (1900s-1930s)
Aline Henninger, “From Women’s Studies to Queer Studies: bending epistemology
François Macé, “Shintō, the disenchanter

Editorial note : The current issue consists of two translated essays originally published in Cipango 22, entitled Du particulier et de l’universel: la Fabrique des savoirs dans le Japon (XIXe, XXe et XXIe siècles) [Individuality and Universality: The Construction of Knowledge in Japan (19th, 20th and 21st centuries)]. As Isabelle Konuma and Laurent Nespoulous argue in their editorial in response to Danièle Lochak’s questioning of the universality of the human and social sciences, the current issue explores the “tension between, on the one hand, the ‘universal’ construction of the sciences and, on the other, the study of how different branches of knowledge became embedded in modern and contemporary Japan”.

These texts have been supplemented with a paper by François Macé, “Shintō, the Disenchanter”, originally published in 2002 in a special issue on “Mutations de la conscience dans le Japon moderne” [Transformations of the Conscience in Modern Japan]. In it, Macé masterfully presents another aspect of the modernisation process in Japan, focusing on the evolution of Shintō during the Meiji era.

Redevenir des héros

David Serfass, « Redevenir des héros », Le Point, 16 décembre 2021 (chapô : “Pour mieux légitimer sa place de superpuissance dont elle estime avoir été spoliée en 1945, la Chine réinterprète sa guerre de quatorze ans contre le Japon. Une révision à double tranchant qui implique Taïwan.”).

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Pour mieux légitimer sa place de superpuissance dont elle estime avoir été spoliée en 1945, la Chine réinterprète sa guerre de quatorze ans contre le Japon. Une révision à double tranchant qui implique Taïwan.

Plus gros succès chinois du box-office en 2020, le film La Brigade des 800, réalisé par Guan Hu, met en scène un épisode fameux de la guerre sino-japonaise (1937-1945). Entre le 26 octobre et le 1er novembre 1937, 423 soldats chinois, qui prétendent être le double pour effrayer l’ennemi, se retranchent dans un entrepôt de Shanghai et opposent une résistance acharnée aux troupes japonaises. Leur courage n’infléchit pas le cours de la guerre, qui voit l’armée impériale prendre Nankin quelques semaines plus tard en s’y livrant aux pires exactions. […] (source : Le Point Hebdo)

David Serfass est Maître de conférences en histoire de la Chine et de l’Asie orientale, à l’Inalco, et membre du comité de rédaction de la revue Etudes chinoises.

La division sexuée du travail revisitée en Chine rurale aujourd’hui

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Hou, Renyou. « La division sexuée du travail revisitée en Chine rurale aujourd’hui. (Re)valorisation de l’emploi féminin et subordination familiale persistante », Travail, genre et sociétés, vol. 44, no. 2, 2020, pp. 125-144.

Depuis les années 1980, la contribution grandissante des femmes chinoises aux activités productives de par la valorisation sociale et économique de la main d’œuvre féminin, ainsi que leur participation non négligeable aux activités sociales et communautaires pourraient donner l’impression, a priori, que l’idéologie confucéenne de la séparation des sexes dans la société chinoise, connue sous l’expression de « l’homme se charge des affaires extérieures, la femme des affaires intérieures » (nanzhuwainüzhunei), tendrait à s’atténuer. À partir d’une étude ethnographique réalisée au village de Zhang (province du Henan) entre 2013 et 2016, cet article démontre que la division sexuée du travail dans les activités productives et sociales reconfigure et redéfinit ce qui est « intérieur » et ce qui est « extérieur » dans un contexte migratoire important, mais dont la valeur d’homme-extérieur/femme-intérieur perdure et continue de réguler l’organisation de la vie des villageois·es.(source : Cairn)

Renyou Hou est postdoctorant de l’IFRAE.

L’expansion du shintō : entre religiosité exilée, convictions religieuses et idéologie impériale

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Mots clés : shintō, empire japonais, sanctuaire d’outre-mer, colonialisme, Mandchourie

La perception du shintō moderne est au cœur d’une tension contradictoire. D’un côté, il est placé dans la continuité d’une tradition centrée sur le culte des kami, les divinités et esprits autochtones définis comme tels après l’introduction du bouddhisme au VIe siècle, souvent associés à un lieu particulier et consacrés dans des sanctuaires. De l’autre, il est disqualifié en tant que système instrumentalisé par les autorités sous la forme du shintō d’État (kokka shintō 国家神道). Ces deux dimensions s’entrechoquent au sein des sanctuaires accueillant concomitamment les cérémonies officielles et les cultes du quotidien. Cet aspect est d’autant plus visible dans le cas de l’implantation du shintō dans les colonies où celui-ci est, d’une part, associé à la propagation de l’idéologie impériale auprès des populations locales, d’autre part, décrit comme l’un des ciments identitaires des communautés japonaises. Là encore, les sanctuaires sont le lieu où apparaît clairement cette double nature. Cet article se propose de mettre en lumière la teneur du shintō moderne par le prisme des sanctuaires construits dans la sphère impériale. (source : Gis Asie)

Edouard L’Hérisson est docteur en études japonaises (Inalco) et post-doctorant à l’IFRAE . Ses recherches portent sur la propagation du shintō au sein de l’empire japonais et sur l’expansion des nouveaux mouvements religieux japonais à l’étranger.

Expressions of the Self in Vietnam: Usage of ‘I’ throughout Literature in nôm and in quốc ngữ

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The modern Western world as the matrix for the individual has been a widely accepted theory among the general public as well as in the areas of social and human sciences. Recently, however, extensive work in various fields—linguistics, literature, history, philosophy and anthropology—has adopted a new approach to research in areas beyond simplistic Western ideas based on binary distinctions; for instance, individualism versus holism, or the West versus the Orient. This paper aims to contribute to this new area of research by offering an overview of the development of the Self and the linguistic manifestations of ‘I’ in Vietnamese literary works. (source: ISEAS publishing)

Doan Cam Thi est traductrice, maître de conférences à l’Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco) et membre de l’Institut français de recherche sur l’Asie de l’Est (Ifrae). Elle dirige, chez Riveneuve, la collection « Littérature vietnamienne contemporaine ». Elle a publié chez cet éditeur Un moi sans masque. L’Autobiographie au Vietnam, 1887-1945 (2019). Elle est également l’auteure de Poétique de la mobilité. Les lieux dans Histoire de ma vie de George Sand (2000), Au rez-de chaussée du paradis. Récits vietnamiens 1991-2003 (2005), Écrire le Vietnam contemporain. Guerre, corps, littérature (2010) et, plus récemment, en vietnamien, de Đọc « tôi » bên bến lạ [L’usage du « je » dans la littérature vietnamienne contemporaine] (2016).

L’hyperféminisation des chanteuses japonaises : shôjo kashu et aidoru

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Chiharu Chûjô et Clara Wartelle-Sakamoto, « L’hyperféminisation des chanteuses japonaises : shôjo kashu et aidoru », Transposition [En ligne], 9 | 2021, mis en ligne le 01 mars 2021. 

Le phénomène des aidoru, ces jeunes vedettes féminines à la fois chanteuses, danseuses et actrices, souvent issues de groupes de pop japonaise fabriqués de toutes pièces par une puissante industrie musicale, s’est grandement développé à la fin des années 1960. La forte médiatisation de ces jeunes artistes les soumet à des exigences importantes, en particulier physiques et morales : elles doivent adopter des tenues et des comportements pour satisfaire et fidéliser leurs fans. Mais leur représentation d’adolescentes modèles aux caractéristiques physiques et aux attitudes hyperféminisées peut troubler, tant elle joue à la fois sur un mode de séduction et d’allusions sexuelles, et sur une apparence volontairement enfantine et immature. Leur carrière et leurs salaires étant déterminés par leur notoriété, cette dernière pouvant rapidement être mise à mal par un scandale touchant à leur vie privée, les aidoru évoluent dans une relation avec leur public qui s’apparente à un dispositif de voyeurisme et de fan service.

Cette figure de la chanteuse ou actrice adolescente à succès s’observe déjà avant-guerre, avec le phénomène des shôjo kashu (« fillettes chanteuses »). Elles incarnent alors la pureté et l’innocence de l’enfance et sont bien souvent cantonnées à des répertoires et des rôles qui valorisent ces qualités. Or, dans les années 1950, des artistes comme Misora Hibari semblent s’éloigner peu à peu de cette vision et offrir une image jouant sur une ambiguïté séductrice s’incarnant dans un corps d’enfant. Dans cet article, nous reviendrons sur les contextes historiques et culturels dans lesquels ont évolué shôjo kashu et aidoru, afin de mieux comprendre ce qui constitue un phénomène majeur dans l’industrie musicale japonaise. (source : OpenEdition – Transposition)

Clara Wartelle est postdoctorant de l’IFRAE,maître de langue de japonais à l’Inalco et chercheuse associée à la Bibliothèque Nationale de France.

Le développement de dispositifs techniques de surveillance des espaces publics et la participation des habitants au maintien de l’ordre au Japon

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Craignant une baisse de confiance à l’égard des policiers ainsi qu’un affaiblissement des liens sociaux au sein des communautés locales en raison d’une urbanisation croissante du pays, la police japonaise s’est attachée à renforcer localement ses partenariats avec la population, notamment à partir des années 2000. Dans cette perspective, l’État japonais a orienté l’aménagement des espaces publics en s’inspirant de la prévention situationnelle, et a encouragé le développement de différentes technologies de surveillance. Ceci a conduit à la mise en place d’un maillage dense de réseaux de surveillance dans les espaces publics, sous couvert de « lien social » et de « protection » des citoyens, non seulement dans des quartiers commerciaux marqués par une forte fréquentation de clients extérieurs, mais également dans des quartiers résidentiels où les commerces locaux sont souvent fréquentés par des habitants du quartier. Des enquêtes de terrain ainsi que l’étude de documents législatifs produits depuis les années 1970 montrent à cet égard que les actions préventives réalisées par les habitants comportent un aspect d’éducation morale à destination des enfants. Les technologies de surveillance ont ainsi contribué à la légitimation d’une surveillance par les habitants, exerçant une forme de tri social au sein des quartiers. (source : Carnets de géographes)

Naoko Tokumitsu-Partiot est maîtresse de conférences à l’Inalco, membre de l’IFRAE. Ses travaux portent sur les mobilisations territoriales des habitants dans un objectif de maintien de l’ordre, ainsi que sur les rapports entre police et société civile en France et au Japon.

Monthly mobility inferred from isoscapes and laser ablation strontium isotope ratios in caprine tooth enamel

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L’origine géographique des hommes et des animaux peut être approchée par l’analyse isotopique en strontium de l’émail dentaire. Mais la capacité de cette méthode à suivre des mobilités successives reste encore à démontrer. Une étude publiée dans la revue Scientific Reports par des chercheur.e.s du CNRS, du MNHN de l’Inalco et de l’Institut d’Archéologie de Mongolie, dont des scientifiques issus du laboratoire Archéozoologie, Archéobotanique: Sociétés, Pratiques et Environnements (AASPE – CNRS / MNHN), du Centre d’Écologie et des Sciences de la Conservation (CESCO – CNRS / MNHN / Sorbonne Université) et du Centre d’Ecologie Fonctionnelle et Evolutive (CEFE – CNRS / Université de Montpellier / IRD / EPHE), vient combler cette lacune. Les résultats, qui portent sur des dents de moutons appartenant à des éleveurs nomades de Mongolie, et dont les déplacements pluriannuels ont été documentés par un suivi GPS, montrent qu’il est possible de suivre une mobilité fréquente (de l’ordre du mois) grâce à l’analyse isotopique à haute résolution de l’émail. Cette approche originale permet des reconstructions raffinées et beaucoup plus détaillées des pratiques pastorales et donc de la culture nomade en général. Ces résultats offrent de nouvelles perspectives dans diverses disciplines, et notamment en écologie, en anthropologie et en archéologie.

Lazzerini, N., Balter, V., Coulon, A., Marchina, C., et al. Monthly mobility inferred from isoscapes and laser ablation strontium isotope ratios in caprine tooth enamel. Sci Rep 11, 2277 (2021). https://doi.org/10.1038/s41598-021-81923-z

Contribution de Charlotte Marchina

Publication valorisée en anglais : How an animal’s teeth can reveal where it’s been

Publication valorisée en français : Suivre les animaux à la trace grâce à leurs dents

Religious network and labor migration: rethinking the integration of low-skilled migrant workers in South Korea

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Low-skilled Cambodian workers are not concerned by “multicultural programs” in South Korea. In this context, they deal with this situation through the help of religious institutions, such as the Onnuri Presbyterian Church, by recreating a sort of ethnonational community. Labour migration permits Cambodian workers to weave different kinds of social links between them, with Koreans of the peninsula, and also with Koreans in Cambodia. This article examines the singular form of integration or exclusion of these migrant workers in South Korea, and tries to demonstrate its impact on their life upon their return home.

미래사회통합연구센터 Journal of Conflict and IntegrationJournal of Conflict and Integration Vol.4 No.2 2020.1240 – 66 (27 pages) KCI등재후보

Hui-yeon Kim est maître de conférences à l’Inalco, département des études coréennes