Possibilité et limites d’une philosophie photographique

Lucken, Michael. « Possibilité et limites d’une philosophie photographique. Une lecture de Nakai Masakazu », Archives de Philosophie, vol. 85, no. 1, 2022, pp. 67-84.

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Saisie, prise, captation ; shooting en anglais ; satsuei en japonais ; çekim en turc : l’opération de la caméra est largement rendue par des expressions relevant du lexique de la préhension et de la prédation. Des camera obscura dont les appareils photographiques sont les lointains descendants auraient pourtant pu subsister, comme par rémanence, des images de caresses, de corps qui se frôlent et s’enlacent sans se fondre, mais dans la plupart des langues domine le registre de la conquête et de l’assimilation. Peut-on s’extraire de cette logique et comment ?
Il y a là un problème de fond. Si la caméra est cet appareil sans âme qui indexe de façon mécanique et coordonnée toute projection lumineuse sur une surface photosensible, alors ce qui en émane, telle une variation du paradoxe d’Achille et de la tortue, ne peut être qu’une série de points infiniment mesurables et sécables dont le rapport au réel comprend un vice fondamental. Par extension, la photographie n’est pas seulement une image de nature inférieure, elle introduit aussi, plus que toute autre technique de représentation, une coupure dans le regard. Ou, pour le dire de façon classique, elle engendre une séparation entre le sujet et l’objet, et tous les rapports de domination et d’aliénation qui l’accompagnent. Au sujet, un sentiment de possession au monde, mais sans cesse des réalisations qui lui échappent et se dressent contre lui ; à l’objet, une monstruosité croissante au fur et à mesure que la logique industrielle s’éloigne des besoins humains… (Source : CAIRN)

Michael Lucken, professeur à l’Inalco, est un historien et japonologue français. Auteur de la seule monographie en français sur Nakai (Nakai Mazakazu – Naissance de la théorie critique au Japon, Les presses du réel, 2016), il a publié de nombreux travaux sur l’histoire culturelle et artistique du Japon au XXe siècle. Partisan d’une approche esthétique de l’histoire, il s’intéresse à la circulation des formes, aux effets de ressemblances, aux changements de perspective, cherchant ainsi à éprouver les possibilités d’une communauté du sens.